Parutions

Antoine Vitez et la marionnette à Chaillot

CHRONIQUES DE LA BNF
N° 54 mai-août 2010

Directeur du Théâtre national de Chaillot de 1981 à 1989, Antoine Vitez a mis à la disposition de marionnettistes des moyens de production. Il a impulsé une politique de création jusqu’alors inconnue en France. Certains des « objets marionnettes » ont pu échapper à la dispersion et sont conservés au département des Arts du spectacle de la BnF.
Antoine Vitez s’est passionné pour le jeu du marionnettiste. Un théâtre où l’acteur devient traducteur plus qu’imitateur et où les accessoires prennent une existence scénique équivalente à celle des personnages.

Le jeu en castelet

Quand Vitez prend la direction de Chaillot, il y installe un théâtre de marionnettes. C’est aussi un laboratoire de recherche et de création qu’il ouvre au théâtre tout entier. Comme point de départ, il propose aux artistes de s’appuyer sur les strictes règles du jeu « en castelet ».
La saison ouvre avec Faust , mis en scène par Antoine Vitez. À l’entracte, deux des acteurs, dont l’un est affublé d’une jambe de bois et l’autre d’un crincrin, surgissent parmi les spectateurs. IIs promènent une planchette flanquée d’une étoffe : le castelet le plus rudimentaire qui soit. Avec des marionnettes à l’effigie de Faust, de Marguerite et de Méphistophélès, ils interprètent dans les couloirs de Chaillot toute la pièce de Goethe en… cinq minutes ! En écho se jouera pour les enfants, l’après-midi, en castelet, un troisième Faust avec des marionnettes similaires.

Un petit théâtre dans le grand

Ainsi, dès le premier spectacle, est mise en acte l’idée que les regards des spectateurs et des acteurs, les proportions, les espaces et le temps s’interpénètrent. Chaillot est immense. Un des lieux les plus impressionnants, et donc très passant, est le grand foyer avec ses baies vitrées donnant sur la tour Eiffel. C’est là qu’est édifié le castelet de marionnettes de Yannis Kokkos. Personne ne peut plus manquer de voir ce « petit théâtre dans le ventre du grand ».
Trois tendances se dégagent des créations présentées: d’abord, les tentatives d’épuisement des ressources du jeu en castelet. Il fallait « briser » le castelet lui-même en lui adjoignant des articulations pour en faire la première marionnette (La Tentation de saint Antoine, mis en scène par Alain Recoing). Les acteurs observaient intensément la vie pour la transposer dans un espace où une autre forme de vie se déployait, plus trépidante, plus hallucinée, plus révoltante encore (Les Aventures du petit père Lapin, mise en scène de Pierre Blaise).

Exotisme et préciosité

D’autres spectacles ont mis l’acteur sur le même plan que les marionnettes, trouvant la plus juste convention de jeu pour que cette cohabitation existe. Des acteurs, échoués dans ce monde, parmi ces partenaires-là, deviennent de prudents funambules, ou prennent l’allure vague des noyés (L’Enfant de la haute mer, mis en scène par Daniel Soulier). Enfin, un certain exotisme et une magnifique préciosité dans le fini des marionnettes de Karina Chérès, inspirées des miniatures orientales, faisaient filer un train de comptines, ou décrivaient de façon quasi anthropologique les habitants d’une île inconnue. (Les Voyages de Gulliver, mis en scène par Daniel Soulier ; Il était une fois il n’est plus, mis en scène par lsil Kasapoglu).
Une histoire esthétique parallèle s’est ainsi écrite pendant dix ans, évoluant en dehors des courants de la marionnette de l’époque, et en marge du « grand théâtre ».

Pierre Blaise