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Théâtre de marionnettes et éducation artistique

Théâtre de marionnettes et éducation artistique et culturelle
(Contribution – Pierre Blaise, ex-président de THEMAA – article publié dans MANIP numéro 35, mois de juillet-août-septembre 2013)

1-
Le théâtre de marionnettes est une synthèse accessible des arts plastiques et des arts de la scène. C’est non seulement un outil contemporain de création, mais aussi un exceptionnel vecteur pédagogique dont les champs d’application sont immenses.
Pendant des siècles, les marionnettes ont appartenu à l’histoire du théâtre, l’histoire des religions, de la sculpture, des automates, du jouet. Longtemps spectacle pour adultes, les marionnettes constitueraient aujourd’hui le plus important chapitre d’une histoire du théâtre pour enfants (v. Denis Bordat : « Marionnettes, jeux d’enfants » éditions du Scarabée).
Les nouvelles dramaturgies associées aux manipulations de tous les types de marionnettes, mais aussi aux manipulations de la matière et des matériaux, des objets et des images ont bouleversé les préjugés qui occultaient encore cet art il n’y a pas vingt ans. Bien plus, les ruptures esthétiques radicales d’avec le théâtre de Guignol qu’ont été le « théâtre d’objet », la « manipulation à vue », ou encore « l’infographie » ont créé l’émergence d’un nouveau public.
Un nouveau public, jeune, nourri d’images pour un théâtre jeune, nourri d’images : le Théâtre de marionnette contemporain.
Le rassemblement de toutes les catégories professionnelles de ce secteur dans l’association nationale THEMAA (THEMAA : Théâtre de Marionnettes et des Arts Associés ; THEMAA est le centre français de l’UNIMA-Union internationale des Marionnettes, membre de l’Ufisc- Union fédérale d’Intervention des Structures Culturelles), étayé par les actions convergentes des artistes, diffuseurs, chercheurs, formateurs, conservateurs, etc. ont permis d’obtenir, avec l’assentiment du Ministère, les moyens d’une structuration nationale professionnelle enfin tangible pour le public. Des lieux de formation, lieux de création et de diffusion, lieux et instruments de ressource (Portail des Arts de la Marionnette) ont été validés, désignés ou créés très récemment.
Les campagnes de communication orchestrées par THEMAA, l’organisation de Rencontres Nationales thématiques, de nombreux colloques et la mise en circulation de deux très belles expositions mettant en valeur la diversité créative des compagnies d’aujourd’hui (v. « Craig et la marionnette », avec la BNF. / « Marionnettes Territoires de création », avec l’IIM, la Ville de Gonesse, les scènes conventionnées de Vendôme, Frouard, Bourg en Bresse, la Cie Tché panses vertes) ont médiatisé auprès des artistes et auprès du grand public l’art d’un interprète phénix : le marionnettiste du XXIème siècle.
Le marionnettiste est un interprète. Qu’il soit acteur ou danseur, jongleur ou mime, chanteur ou acrobate, il s’ajoute un savoir : celui d’exprimer son art dans un espace simultané et double. Cette caractéristique étend l’origine du geste du marionnettiste non seulement au théâtre, mais aux arts de la rue, au cirque, à l’opéra, au mime, etc. pour le transposer en un art singulier, le théâtre de marionnettes.
Cette question de l’interprète et de la proximité des autres arts oblige aujourd’hui à reconsidérer la formation professionnelle du secteur et à ajuster «les profils de postes» au métier de marionnettiste. Mais, de façon plus globale, cette reconsidération et ce questionnement révèlent l’extraordinaire richesse pédagogique que recèlent par devers eux les marionnettistes. Les actions artistiques entreprises auprès des publics dans ce domaine, dépassent ainsi la seule connaissance d’un art particulier. Le théâtre de marionnette est un théâtre qui peut modéliser les connaissances. En ce sens, et parlant du seul théâtre, le théâtre de marionnette pourrait faire figure de « méta-théâtre ». Un théâtre de l’observation. Un théâtre de l’imitation. Un théâtre de la transposition. Un théâtre de la transformation. Bref, un théâtre de création.
Enfin il est remarquable que dans les situations post-traumatiques des catastrophes ou des conflits, dans les milieux de redressement, dans les milieux du handicap et de la maladie, l’espace double du théâtre de marionnettes ouvre des fenêtres de liberté, des horizons pour la réflexion et la reconstruction de soi, et de soi parmi les autres. L’UNIMA (Union internationale des Marionnettes) est une ONG historique affiliée à l’UNESCO. Les valeurs du droit, de l’égalité, de l’éducation de qualité pour tous, de la diversité culturelle et du dialogue interculturel portées par les marionnettistes rejoignent bien évidemment les valeurs de l’éducation artistique considérée comme une composante essentielle de la formation générale.
Instrument privilégié et efficace de l’éducation populaire d’après guerre, le théâtre de marionnettes s’est vite trouvé cantonné au seul domaine du théâtre jeune public, avec le corollaire d’indigence qui semble être son lot pour les artistes. Si en 2013, un développement de l’action artistique et culturelle auprès des enfants avec la marionnette semble une médiation indispensable, utile et possible, nous ne devons pas refaire les erreurs du passé. Et, parallèlement au développement du théâtre jeune public, nous devons bien veiller à ne pas négliger, particulièrement dans le secteur de la marionnette, la longue portée artistique des productions en direction des spectateurs adultes.
2-
Du point de vue de THEMAA, il nous paraît primordial de hiérarchiser les objectifs concrets de l’éducation artistique afin d’en prévoir les moyens et la juste répartition. A la question de savoir si l’éducation artistique est un vecteur pour l’accès à l’art, notre réponse est que l’art est lui-même le premier vecteur de l’éducation artistique. C’est donc l’accès égalitaire du jeune public à l’art, c’est-à-dire au répertoire et aux créations des compagnies, qui doit être observé. Les méthodes médiatrices, pédagogiques, relationnelles que développent les artistes avec les publics, viennent en second. Car ces méthodes de l’éducation artistique sont tributaires des conditions de la mise en relation des œuvres avec le public. Donc directement tributaires des conditions actuelles de production, de création, de diffusion, de médiation.
Ce sont les artistes, et personne d’autre, qui inventent des spectacles et des formes nouvelles. Ils rassemblent des talents, ils écrivent et ils dessinent, ils construisent décors et marionnettes, ils les mettent en scène, ils répètent longuement et ils jouent. Et ils défendent leurs créations.
C’est-à-dire qu’ils investissent dans les festivals qui leur sont devenus d’indispensables showcase, ils investissent dans la communication sans que les réseaux professionnels de diffusion ne leur soient véritablement hospitaliers, et surtout : ils compensent, en ce qui concerne les enfants-spectateurs, le manquement du service public de l’Etat. En effet, le prix bas des places consenti aux enfants pour un accès du plus grand nombre est supporté d’abord par les compagnies. Les séries de représentations nombreuses qui relativisaient en partie l’investissement des compagnies n’existent pratiquement plus. Le séjour éphémère des compagnies, même dans les villes ou la population est nombreuse, ne permet plus d’évoquer sérieusement l’éducation artistique en termes de fréquentation des œuvres, fréquentation des artistes et des médiateurs culturels, ni en termes de pratique artistique.
Ce sont les artistes, et personne d’autre, qui inventent des outils de médiation pour leurs œuvres, des jeux et des instruments pédagogiques, des programmes de formation, des dispositifs de rencontre et de découverte en direction des publics enfants et adultes, en direction des autres artistes, en direction des médiateurs culturels, en direction des populations… Dépossédés de la maîtrise de la plus part des théâtres, qu’on aurait pu considérer comme leur légitime instrument de travail, les artistes s’associent autrement et organisent à partir de leurs ateliers, de leurs fabriques, de leurs friches d’imagination, des points de rayonnement territoriaux qui n’ont pas encore de nom, des lieux d’intelligence sociale, artistique et solidaire. Des lieux de compagnonnage. Surpassant la précarité, ils ouvrent des espaces de fréquentation et de reconnaissance mutuelle, comme leurs pairs avaient, il n’y a pas si longtemps, ouvert les théâtres de la décentralisation.
Cette énergie d’origine créative et économique, portée par les artistes, irrigue et fertilise le champ des autres professions liées à l’exercice de l’art du théâtre et de la marionnette. La précarité de vie qu’éprouvent les marionnettistes dans leur grande majorité constitue non seulement un grave disfonctionnement mais perpétue une inégalité sociale. Jean Vilar avertissait déjà que l’exploitation ne pouvait être au dessus de la création. Cette précarité interpelle directement les tutelles et interpelle ceux qui ont aujourd’hui la charge des moyens structurels et financiers de la mise en relation des artistes avec les publics.
3-
La qualité devient le principal enjeu de l’éducation artistique. Qualité des spectacles et qualité des échanges avec le public. Cette qualité est dépendante des moyens engagés par les structures d’accueil dans les phases de la création – conception, répétitions, diffusion – et dans son éventail de proposition relationnelles. La qualité des spectacles, comme la qualité des relations avec le public, a besoin de temps pour s’établir. Un spectacle se bonifie en présence du public, au fil de nombreuses représentations. Ainsi la qualité des spectacles n’est pas du tout isolée de la notion de quantité, en nombre de représentations comme en nombre de spectateurs. Mais cette qualité/quantité ne va pas sans risque. Elle exige une programmation de conviction. Donc de réflexion sur le sens et les raisons profondes de proposer telle ou telle œuvre au public. Donc d’incitation concertée pour l’organisation de la médiation de l’éducation artistique. Donc d’autonomie dans les choix de programmation en regard de l’influence des élus locaux.
C’est peut-être parce que le théâtre de marionnette est un théâtre d’image, foisonnant de diversité expressive qu’il se trouve assujetti si fortement à l’évènementiel et à la communication. Les festivals font valoir à l’envi cette diversité, et sont incontestablement les premiers facteurs de la reconnaissance du public pour un art transformé et inattendu. Mais si la programmation parcellaire continuait à se généraliser, elle asservirait les artistes aux seuls desiderata des représentants du marché sans même avoir la contrepartie de voir se renouveler et grandir le public.
Déjà instrumentalisées, les œuvres ont tendance à devenir les outils de communication des lieux de diffusion ou des villes. Le concept même d’éducation artistique semble impliquer exactement l’inverse : ce sont les œuvres qui doivent bénéficier des outils de communication des théâtres pour l’éveil et la sensibilisation du plus grand nombre.

Pierre Blaise Président de THEMAA
Décembre 2012