Parutions

Le Castelet et l’isoloir

MANIP
Août 2007
Le théâtre désintéressé

La création

La jeune génération est particulièrement créative. Est-ce parce que les conditions sont les pires que la navigation à l’estime, risquant tout, produit des oeuvres ébouriffées, incongrues, inattendues ? Dans les spectacles, il y est moins question d’adresse ou de maladresse que de spontanéité. L’assimilation de la plus part des arts transposés sur la scène, l’usage des instruments sophistiqués de la technique et le bric-à-brac de la vie désorientent joyeusement le théâtre. Les équipes assument de nouveaux textes. Elles débroussaillent d’anciens lieux pour en faire de nouveaux. Elles emportent des publics étonnés. Ce qu’il était difficile de présenter il y a dix ou vingt ans est naïvement intégré et maîtrisé, consciemment transformé et lancé à la volée, au jugé, pour qui voudra s’en saisir.

Prolifération

Un nombre croissant de compagnies apparaît. Cela est vrai à fortiori du théâtre de marionnettes. Ces équipes rassemblent quelques artistes, deux ou trois… Elles créent la plus part du temps de « petites formes ». Cette prolifération est un ferment d’invention. Mais elle génère une tension sensible dans l’économie du spectacle.

Déséquilibre

Au lieu de créer de l’emploi sur le marché du travail, les compagnies créent des spectacles sur le « marché des biens et des services » dont les « clients » sont les théâtres. Les conséquences en sont l’effritement du partenariat en termes de production et la baisse du prix de vente des spectacles.

L’état n’est plus le régulateur

Cette situation est récente. Depuis Jean Vilar, le théâtre et le théâtre de marionnettes ont traversés des étapes tourmentées. Aujourd’hui les acquis des générations précédentes semblent prêts à être balayés. Un retour au temps d’avant le « Théâtre Service Public » est amorcé. Un des avertisseurs de cette régression est la notion de gratuité qui s’acclimate dans les relations au travail.

Gratuité

Qu’il soit contraint, volontaire ou solidaire le travail gratuit multiplie ses champs d’influence : presse quotidienne gratuite; téléchargement des oeuvres; action humanitaire, etc.
Dans le domaine de l’art, le travail gratuit est une aubaine pour les zélateurs du libéralisme. L’investissement n’est même plus nécessaire. Il n’y a qu’à se donner la peine de se pencher sur l’oeuvre ; méditer un peu, critiquer un brin ou décréter un « isme ». Avoir des coups de coeurs. Le théâtre, quant à lui, se retrouve peu à peu dépendant du seul système commercial.

Standardisation

Le commerce exige un certain formatage : petites formes, peu d’installation scénique, bas prix. Un spectacle où l’on ne doit pas « se casser la tête » est idéal. Il est remarquable que ce formatage soit ajusté comme un gant au cliché du théâtre de marionnettes (« le marionnettiste est un être tout seul, qui fait tout… »). C’est peut-être une des raisons de la vogue actuelle de ce théâtre ?

Ce sont d’ailleurs les mêmes caractéristiques de format qui sont recherchées dans le théâtre pour les jeunes spectateurs. On y reconnaitra de même les caractéristiques habituelles de la télévision.

Programmateurs et artistes

Un nombre croissant de compagnies apparaît. Cela est vrai à fortiori du théâtre de marionnettes. Ces équipes rassemblent quelques artistes, deux ou trois… Elles créent la plus part du temps de « petites formes ». Cette prolifération est un ferment d’invention. Mais elle génère une tension sensible dans l’économie du spectacle.

La zizanie

Le théâtre est pris dans la machine du tout économique. Le processus du « chacun pour soi » engrène sur la concurrence et la compétition. Il est renforcé par des sentiments d’inégalité dans le partage des aides et stimulé par la tentation de bénéfices en termes de reconnaissance ou d’égo. L’individualisme sépare. Il semble ajourner tout espoir d’action commune.

Les jeunes compagnies

Des « garde-fous » comme l’exception culturelle et le statut des intermittents tiennent à un fil. S’il est de toute nécessité de les préserver, ils ne concernent pas encore les artistes débutants qui ressentent l’irrépressible nécessité de créer. Devraient-ils pour des motifs politiques s’interdire d’entreprendre quoi que ce soit ?

En substituant les termes

En oeuvrant « généreusement » la notion de travail perd sa connotation d’obligation et d’ennui. Une autre valeur lui est attribuée, en qualité, en passion et en plaisir. En connivence et en jubilation avec le spectateur.

Mais cette autre valeur reste incompatible avec le système marchand. L’économie obtuse repère bien un coût de production dans la création d’un spectacle. Mais elle n’a pas de barème pour le rôle que le théâtre joue dans la société. On ne chiffre pas la qualité d’un échange, le goût pour se déplacer dans une salle de théâtre, le cours d’une histoire ni la vie éphémère de personnages imaginaires …

À l’époque ou les machines ne sont ni syndiquées ni fatiguées, et font rarement le pont, les besoins de tous pourraient être largement satisfaits. Par contre les tâches d’importance collective restent l’attribution des hommes. Pour les artistes la culture et l’éducation et en sont une, parmi d’autres : la justice, le logement, la santé, etc.

Mais le système, tant qu’il s’impose, digère cette valeur insaisissable. Ce qui se veut oeuvre généreuse, reste travail gratuit. Sujet à profit. Néanmoins ces contractions amènent en filigrane une autre conception, latente, et plus optimiste du travail et de la société.

Une période de transformations

Nombre d’artistes contournent déjà le seul rapport marchand. Ce ne sont pas seulement des réalisations qu’ils proposent. Par leur fonctionnement atypique, ils bouleversent, ils inventent une organisation du théâtre. Ils dénient de fait toute légitimité à l’hégémonie de l’économie. Le fléau ne serait pas une fatalité.
Mais, pour autant, le nihilisme doit être surmonté. Les compagnies ne peuvent se conforter dans une attitude désintéressée, solitaire ou marginale. Ce ne serait que la justification d’une démission, d’une indifférence et peut être au fond d’une impuissance. Ce ne serait pas l’impulsion indispensable à un mouvement d’avenir. Ce serait accepter implicitement un retour en arrière.

La consommation à outrance des fac-similés culturels arrive sans doute à saturation. L’averse de CD, de livres, de films commence à glisser sur tous comme l’eau sur les canards. La disponibilité à satiété de données sur internet fait dériver la réflexion sur des rails infinis. Les acteurs en démultiplication numérique sont devenus des produits courants.
N’y a-t-il pas plus de privilège à vivre un concert ou une pièce de théâtre ? Dans ces lieux de création le temps se calme. Dans ces lieux l’art se fait en même temps que le vivent spectateurs et artistes. On se rappelle d’être passé par là.

Des chemins de traverse

Une application pour se mettre en relation avec le monde serait un effort journalier nécessaire. C’est une astreinte artistique volontaire à l’égale des autres : les exercices du comédien, les gammes du musicien ou celles du marionnettiste.

Les associations militantes sont des relais disponibles. Elles sont représentatives. Elles sont souvent en mal de participants actifs.
Les écoles de théâtre sont des lieux de prises de conscience autant que de formation. Rares sont les compagnies d’un peu d’expérience qui ne transmettent volontiers leurs savoir-faire.

Pierre Blaise